La Montagne
Feb 20th, 2011
L’art de mener les Chinois à la baguette
L’école française de la boulangerie d’Aurillac (Cantal) forme pendant six mois des orphelins chinois appelés à devenir les ambassadeurs du pain gaulois dans l’empire du milieu.
Sous l’œil aiguisé de professeurs attentionnés, Li Wang façonne minutieusement un petit pain torsadé. Le geste est fluide, aérien, digne d’un David Copperfield des choses du pétrin. Comme si la jeune fille avait grandi dans l’arrière-boutique d’une boulangerie hexagonale, à passer ses mercredis après-midi à mettre la main à la pâte.
Derrière son large sourire, Li dissimule gracieusement un regard dur, dans lequel on lit un mélange de volonté et de maturité qui tranche avec son visage poupin de midinette orientale de 22 ans. Malgré les apparences, Li revient de loin. Et pas seulement parce qu’elle est arrivée, il y a un mois, à Aurillac, en provenance de Shanghai. De sa Chine natale au Cantal, la distance est aussi grande et le choc aussi violent qu’entre sa vie d’avant et son existence d’aujourd’hui.
Orpheline originaire de la province du Henan, elle a renoncé, à l’âge de 16 ans, à une bourse d’études au profit de son jeune frère pour partir travailler dans une usine du sud du pays. Là-bas, à Dongguan, dans cette région de la rivière des perles, où se concentre une bonne partie du Made in China, elle a confectionné, pendant plus de trois ans, des milliers de jouets destinés à envahir les rayons des supermarchés occidentaux. Avec pour seul horizon, l’atelier plus de dix heures par jour et un logement collectif partagé avec ses camarades d’infortune. « Une période très dure », lâche-t-elle, pudique.
« Sûrs de trouver du travail en cinq minutes »
Elle aurait pu, comme des millions d’autres travailleurs migrants, rester enfermée dans les soutes du miracle économique chinois. Mais un jour de 2009, son destin a basculé. Grâce à la fondation Chi Heng, un des partenaires de l’opération, qui la suit depuis l’enfance, elle apprend le lancement d’une formation de boulanger à Shanghai.
Du jour au lendemain, elle plaque l’usine pour les Young Bakers. Cette ONG, créée par la Jeune chambre économique française de Shanghai (JCEF), mène depuis 2008 un projet original : favoriser l’insertion d’enfants en difficulté, en particulier des orphelins, à travers l’apprentissage en alternance de l’art de la boulangerie à la française.
« Avec le soutien de plusieurs partenaires, comme la Fondation Carrefour, et au dynamisme de jeunes expatriés, l’ONG a vite décollé, explique Hélène Hovasse, chef de pôle produits et équipements agroalimentaires chez Ubifrance Shanghai, qui est originaire de Saint-Flour (Cantal) et marraine du projet. « L’idée de départ est partie du constat que la boulangerie française, jouissant d’une excellente image de marque, explosait en Chine et qu’il était possible de concilier humanitaire et produit tendance. »
Avant d’entamer sa formation, Li n’avait qu’une idée assez vague de l’aventure dans laquelle elle s’embarquait. « Au lycée, j’avais appris que la France était un pays très romantique. Et à l’usine que le pain français était le meilleur au monde », rigole celle qui a suivi un an de cours à l’Alliance française afin d’apprendre la langue de Molière.
Travailleuse, décidée à s’en sortir, Li s’accroche, au point de retenir l’attention de ses maîtres et d’être choisie, avec deux autres camarades, Jinjin Xiao et Zhenghai Zhang, pour venir parfaire son bagage technique à Aurillac pendant six mois et passer le CAP français.
« Mon rêve est de devenir un grand maître de la boulangerie comme Christian (Vabret). À force de le voir faire, on a envie de l’imiter, lance-t-elle, sûre de son fait, devant l’intéressé. Pourtant, au départ, j’ai eu du mal. Quand on regarde le produit fini, cela a l’air si simple, alors que c’est si compliqué à fabriquer. Moi, j’adore la baguette. »
En juillet, à son retour en Chine, le trio prendra la relève des formateurs français. « Ils ont un contrat moral avec les Young Bakers, souligne Christian Vabret. Ils doivent rester trois ans avant de pouvoir voler de leurs propres ailes. Le but est de sortir une cinquantaine d’ouvriers par an. » Li et ses deux amis ont un avenir tout tracé.
« Les boulangers sont sûrs de trouver du travail en cinq minutes, dans un hôtel par exemple, insiste Zhenghai Zhang. Le pain français est super à la mode. » « Et puis, enchérit Li, le pouvoir d’achat augmente et les Chinois ne veulent pas seulement des choses bonnes, mais des choses bonnes pour la santé, comme le pain français. »
Tout sourire, la jeune fille savoure son conte de fées. Découvre la France avec des yeux d’enfant. S’avoue ébahie de « voir les voitures s’arrêter pour la laisser traverser ». Se délecte des spécialités culinaires.
« Avant, je n’avais aucun intérêt à la vie. Aujourd’hui, je l’aime. Tout passe très vite. Comme si le temps s’était accéléré. »
Dominique Diogon